Un mois après sa parution en France, le livre de l’ancien président sénégalais Macky Sall, L’Afrique au cœur, reste désespérément introuvable dans les librairies de Dakar. Pourtant, l’ouvrage, publié aux éditions Odile Jacob, avait suscité un vif intérêt médiatique au moment de sa sortie, porté par la stature internationale de son auteur et les thèmes qu’il aborde : le rôle de l’Afrique dans la gouvernance mondiale, les enjeux climatiques et le développement économique du continent.
Mais sur le terrain, la réalité est tout autre. Après un tour effectué dans plusieurs librairies de la capitale — notamment à Almadies, au Plateau et à Sacré-Cœur —, le constat est unanime : aucun exemplaire disponible, aucune date de livraison prévue. « On ne l’a pas encore reçu. Ce genre de titres met du temps à arriver, surtout quand il est édité à l’étranger », confie un libraire du centre-ville, visiblement peu convaincu qu’il en recevra un jour.
Un paradoxe pour un livre tourné vers l’Afrique
L’absence du livre dans son propre pays interroge. Comment expliquer que L’Afrique au cœur, censé porter une vision panafricaine et célébrer le rôle du continent, ne soit pas accessible aux lecteurs africains — et sénégalais en premier lieu ? Ce paradoxe n’est pas sans rappeler un précédent : en 2016, le livre Solutions d’Ousmane Sonko, alors simple opposant, avait connu une même invisibilité dans les rayons, poussant les lecteurs à se rabattre sur des commandes en ligne ou des circuits informels.
« C’est une histoire qui se répète, observe un client rencontré devant une librairie du Plateau. Que ce soit un opposant ou un ancien président, on a toujours du mal à trouver leurs livres ici. On prive le public d’un accès à la réflexion politique. »
Entre logistique, marché et prudence politique
Faut-il y voir une forme de censure silencieuse, ou plutôt un dysfonctionnement structurel du marché du livre sénégalais ? Les professionnels interrogés se veulent prudents.
Un directeur de librairie, souhaitant garder l’anonymat, avance une explication commerciale : « Macky Sall a choisi une maison d’édition française, ce qui complique la distribution locale. Et puis, pour ce genre de livres, la demande reste limitée. »
Même son de cloche du côté de Clairafrique. Son responsable commercial, Joseph Youm, évoque « des priorités logistiques liées à la rentrée scolaire » et reconnaît que « les ouvrages politiques posent parfois problème », entre sensibilité du contenu et difficultés d’approvisionnement auprès des éditeurs étrangers.
Un symptôme d’un malaise plus profond
En filigrane, cette absence traduit un malaise plus large : celui de la faible valorisation du livre politique au Sénégal. Qu’il s’agisse de Solutions hier ou de L’Afrique au cœur aujourd’hui, les écrits politiques semblent peiner à trouver leur place dans l’espace public.
À l’heure où le continent cherche à affirmer sa voix et à construire sa propre narration, le livre — surtout lorsqu’il émane d’un acteur politique majeur — devrait être un outil de débat et de transmission. Or, sa rareté dans les circuits officiels témoigne d’un désintérêt inquiétant, sinon d’une certaine gêne à diffuser la pensée politique nationale.
En attendant, L’Afrique au cœur reste pour l’instant un livre… hors de portée du cœur des Dakarois.

